Au cœur du système Bielsa avec Mourad Aerts

Alors que Marcelo Bielsa suscite toujours une grande fascination dans la cité phocéenne depuis son passage à l’Olympique de Marseille, Mourad Aerts a récemment dévoilé un livre intitulé « OM Bielsa : Enquête sur une relation passionnelle » pour revenir sur la saison 2014-2015 du club olympien. Cet ouvrage nous offre une plongée au cœur du système Bielsa, avec des anecdotes inédites, des souvenirs marquants et une analyse détaillée de sa méthode. Rencontre avec Mourad Aerts, écrivain et journaliste pour le site Football Club de Marseille.

La préface de ton ouvrage est signée André Villas-Boas. Pourquoi ce choix ?

En réalité, c’est assez simple. Il est à ce moment-là l’entraîneur de l’OM et son admiration pour Marcelo Bielsa est connue. Je me suis donc dit que ce serait pertinent d’avoir l’avis d’un autre coach de l’OM sur Bielsa pour lancer l’ouvrage.

Idéaliste à ses débuts et devenu rapidement pragmatique, André Villas-Boas s’est éloigné des fondamentaux de son idole, Marcelo Bielsa, à l’OM. Quel est ton regard par rapport à son passage au club et les comparaisons fréquentes avec le technicien argentin ?

Je pense que pour encore un petit moment tous les entraîneurs qui passeront par l’OM seront comparés à Bielsa. Même lorsque Rudi Garcia était là, tu entendais souvent des phrases : “Oui votre Bielsa là… mais l’OM ne s’est pas écroulé avec Garcia !” lors de la saison 2017/18, puis : “On en a assez de Garcia ! Rendez-nous Bielsa, au moins avec lui on s’éclatait !” pendant la saison 2018/19. L’expérience que Marcelo Bielsa propose est tellement puissante que les suivantes sont forcément jugées à l’aune du “Bielsa Trip”.

Quant à André Villas-Boas à l’OM, je pense que c’est un entraîneur érudit du jeu, mais absolument pas dogmatique. Il sait lire le jeu de ses adversaires et s’y adapter plutôt que d’imposer son style. Il s’est donc naturellement adapté à la Ligue 1 et au jeu pratiqué en France. Donc…

Des similitudes existent entre les passages de Marcelo Bielsa et André Villas-Boas au sein du club phocéen. Je pense, notamment, aux relations délicates qu’ils ont entretenues avec leur direction. Comment peux-tu expliquer cela ?

Effectivement, il peut y avoir une comparaison avec Bielsa dans son indépendance par rapport à sa direction. À sa franchise. Il n’est absolument pas corporate comme Bielsa.

Je me l’explique par le fait que dans 90% des cas, les staffs techniques et les directions générales des clubs n’ont pas le même intérêt. Malgré tout ce que l’on a pu lui reprocher, Andoni Zubizarreta pouvait constituer un tampon de grande qualité entre le banc et la direction. Lorsque la direction a mis en danger “Zubi”, car elle devait agir pour ses finances aux abois, le schisme s’est réveillé et le confort dans lequel André Villas-Boas pouvait travailler a été remis en cause.

Marcelo Bielsa, comme André Villas-Boas, a besoin d’une structure claire dans laquelle il peut travailler. Au contraire, majoritairement, les entraîneurs français s’adaptent au changement de cap perpétuel de leur direction pas toujours très inspirée.

D’ailleurs, Vincent Labrune, homme de communication médiatique, était-il forcément incompatible avec Marcelo Bielsa ? Comment Vincent Labrune a-t-il géré la communication, souvent indirecte, avec Marcelo Bielsa ?

Avec des messages papier ! À un moment, Marcelo Bielsa a tout de même remis au goût du jour le concept de télégramme puisqu’il envoyait à Vincent Labrune ses messages via des bouts de papier. Mais évidemment, il y a une certaine incompatibilité de base…

Il y a, ou il devrait y avoir, une certaine incompatibilité entre la majorité des entraîneurs et les dirigeants. Ces derniers sont plutôt dans une optique de marché, d’entreprise quand les premiers sont dans le sport et la compétition. Vincent Labrune a géré le cas Bielsa comme il gérait tout : un peu à l’esbroufe, un peu aux promesses… Dans l’espoir que ça passe. Il a aussi fait des efforts sur sa prolongation à l’été 2015, mais toutes les cartes n’étaient plus entre ses mains.

Arrivé à l’été 2014 et parti en août 2015, Marcelo Bielsa a profondément marqué la mémoire des supporters du club phocéen et a initié une révolution culturelle et structurelle au club. Aujourd’hui, quel est l’héritage laissé par l’Argentin à Marseille ?

Son héritage est le souvenir fort, vivace que l’on peut demander à son équipe de jouer comme ça… Que c’est possible d’être aussi ambitieux footballistiquement parlant, même sans des milliards. Alors peut-être que le résultat final ne sera pas au rendez-vous, mais quand le résultat final a été au rendez-vous à Marseille sans moyens ?!

Quitte à ne pas avoir d’argent, autant essayer de jouer que de calculer et de se perdre dans d’hypothétiques projections. Après, on peut se dire : “Oui, mais si on est cinq fois d’affilée en Ligue des champions, même en s’ennuyant, après on aura de l’argent…”. Mais, pour beaucoup, comme moi, ça a presque été une révélation. Le foot, surtout dans un grand club comme l’OM, doit être ambitieux, offensif et offrir un vrai plaisir. Pas a posteriori quand on compte les points…

Marcelo Bielsa a développé une nouvelle philosophie, une nouvelle façon de regarder les matchs en rendant le football aux supporters et en faisant revivre l’OM. Cependant, Marcelo Bielsa a-t-il laissé un goût d’inachevé ?

Il y avait forcément un goût d’inachevé à la fin de sa saison, car tu as rêvé au titre pendant un long moment dans la saison et tu ne parviens même pas à accrocher la Ligue des champions. Mais franchement le dernier match de la saison, il régnait tout de même un parfum de fête au Vélodrome. Ce n’était pas une énorme célébration, comme après un titre, mais la déception du classement final était largement atténuée par le sentiment d’avoir vécu une saison très spéciale et surtout la sensation d’être au départ d’un nouveau cycle.

Le plus gros goût d’inachevé vient de sa seconde saison qui n’aura jamais lieu. Le fait qu’il parte, de manière aussi soudaine, a été très difficile à vivre pour les supporters marseillais.

Les attentes actuelles des supporters de l’OM ressemblent aux besoins primaires présents lors de l’arrivée de Marcelo Bielsa, à savoir : voir du jeu et vivre passionnément les matchs. Dans ce contexte, Jorge Sampaoli est-il le choix idéal pour le club ?

Sur le papier, ça semble l’être. Après, encore une fois, on va être confronté à la logique du coach et à la logique des dirigeants fauchés. En espérant que ça passe…

Jorge Sampaoli peut-il s’appuyer sur la philosophie initiée et prônée par Marcelo Bielsa à l’OM ?

Il ne reste plus grand-chose du passage de Marcelo Bielsa au sein de l’effectif. Les joueurs déjà présents au sein de l’effectif en 2014-15 ne sont pas forcément les meilleurs avocats de la philosophie Bielsa. En revanche, dans un premier temps, il peut s’appuyer sur le soutien du public à cette philosophie, à cette envie de retrouver des émotions.

Dans ton livre, tu reviens sur cette saison spectaculaire 2014-2015 de l’Olympique de Marseille… La fatigue mentale des joueurs et du staff a-t-elle été le principal frein dans la course au titre ?

Oui, mais il faut aussi se dire que Marcelo Bielsa a fait surperformer cet effectif. L’OM a quand même joué le titre avec une défense Brice Dja Djédjé – Rod Fanni – Jérémy Morel – Benjamin Mendy épaulée par le tandem Alaixys Romao – Giannelli Imbula.

Il a magnifié les joueurs qui devaient une revanche à leurs supporters par rapport à la saison précédente. Une fois l’emballement passé, il fallait que les joueurs s’accrochent et continuent d’avoir la volonté de se dépasser à l’entraînement. Ça a été moins le cas en seconde partie de saison. Plus quelques mauvais résultats. C’était suffisant pour éroder la légitimité de la méthode Bielsa…

Quels ont été les éléments qui ont fragilisé l’équilibre entre effort et récompense, centre de la méthode de Marcelo Bielsa ?

Je pense qu’il faut avoir l’habitude de se défoncer à l’entraînement et de résister mentalement au contrecoup des défaites alors que tu as l’impression que tu méritais de gagner. À Leeds aussi, il y a eu un contrecoup la première année et particulièrement à cause des défaites “imméritées”. Ce sentiment a peu à peu disparu à Leeds. Avec un groupe de 15 Gabriel Heinze, Bielsa serait invincible ! Mais ça coûte cher un seul Heinze.

En demandant une connaissance exigeante des aspects tactiques et un travail analytique important à ses joueurs, Marcelo Bielsa a-t-il été confronté à un problème culturel concernant l’exigence du haut niveau en France ? Tu abordes d’ailleurs ce thème avec une citation d’Alain Perrin, entraîneur de l’OM de 2002 à 2004 : “Lorsque les joueurs partent à l’étranger, c’est toujours plus beau, mieux. Les joueurs semblent alors découvrir ce qu’est la réalité du football de très haut niveau, mais nous, entraîneurs, on le sait déjà en France…”

Très clairement. Côté OM, dernièrement, Morgan Sanson expliquait sa surprise devant l’intensité des entraînements en Angleterre. La France est surtout un tremplin pour les bons jeunes. Et si les mecs dans la force de l’âge arrivent à l’OM, c’est une forme d’aboutissement. Il y a donc ce sentiment que certaines choses leur sont dues notamment à l’entraînement. Sans l’accuser en particulier, mais pour prendre une “star” actuelle de l’effectif du club olympien : si Florian Thauvin part à West Ham demain, il sera un joueur parmi d’autres. Et comme aucun autre joueur ne se plaindra à l’entraînement, il ne le fera pas non plus.

Dans ton livre, Stéphane Sparagna souligne ses incompréhensions lorsqu’il évoluait au sein d’une défense à trois à Auxerre, à la suite de son passage à l’OM. L’aspect tactique, les mouvements et les placements étaient complètement différents de la défense à trois de l’OM sous Bielsa. Cette précision dans les détails peut-elle être préjudiciable pour les joueurs lorsqu’ils n’évoluent plus sous les ordres de Marcelo Bielsa ?

Non, pas forcément. Si tu parviens à t’adapter à Bielsa, tu devrais parvenir à revenir à des demandes plus normales. Globalement, les joueurs passés sous les ordres de Bielsa en ressortent plus complets et mieux armés psychologiquement.

Le traitement réservé à Marcelo Bielsa de la part d’une majorité du football français a-t-il finalement desservi les amateurs de football et grandement compliqué l’exercice des journalistes ?

Je ne sais pas… J’ai envie de te dire que ça me rend triste pour toutes ces personnes qui passent à côté du truc. Pour eux… L’expérience Bielsa est tellement puissante qu’elle a tendance à rapidement polariser les “pour” et les “contre”. C’est ce qui s’est passé avec la presse. Les “pour” ne comprenaient pas les “contre” et les deux se sont enfoncés dans leurs certitudes.

Après l’amateur de football français réceptif à Bielsa a dû vivre le truc pleinement avec les avantages : le jeu, l’impression d’être représenté, le rêve… mais aussi les inconvénients : la difficulté mentale liée, les critiques conservatrices, etc.

Dans le football moderne, le jugement est, très majoritairement, établi sur les résultats et non le procédé. La vision du foot de Marcelo Bielsa peut-elle devenir difficilement admissible aujourd’hui ?

À mesure que l’industrie du football détruit le football, la vision de Bielsa devient de plus en plus satisfaisante. Hormis cette saison, les titres nationaux sont toujours confisqués par les mêmes clubs. On va vers une fermeture de la Ligue des Champions. Donc, que reste-t-il aux autres ?

Penses-tu que le culte de la victoire dans le football moderne est encore compatible avec les valeurs du jeu et un certain sens de l’esthétisme ?

Encore une fois, on parle de quelle victoire ? Le championnat ? Entre 15 et 19 équipes sont désormais interdites d’y penser. La Ligue des champions ? Le rêve n’est permis que pour les mastodontes.

Je pense qu’il faut même revoir le sens de ce que l’on appelle “victoire” dans notre football. Parce que quatrième à l’échelle de l’OM des années 2010 (après l’ère Didier Deschamps), c’est la fourchette haute des résultats. L’OM a terminé deux fois sur le podium pour deux éliminations honteuses lors des phases de poules en Ligue des champions. L’OM n’a jamais fait mieux.

Cependant, lors de cette même période, l’OM a eu des victoires financières. C’est là où il faut revoir notre approche du foot. Le football doit d’abord être vécu avec des émotions, pas des lignes comptables.

Qu’un mec comme Didier Deschamps soit dans cette approche “la victoire et rien d’autre”, cela peut se comprendre. Le mec prend les meilleures équipes, ça joue moche, mais, finalement, il te remplit le Vieux-Port et les Champs Élysées. Ok. Mais la saison avec Élie Baup, j’avais presque honte de certaines victoires de l’OM. Le football est en train de nous échapper complètement et on ne fait que répéter le discours de nos dirigeants qui n’en ont rien à faire des choses qui nous sont chères dans le foot…

Historiquement, les supporters de l’OM ont une passion pour le jeu. Le passage de Marcelo Bielsa a-t-il fait évoluer ces exigences ?

Il a modernisé les exigences. Pendant longtemps, cette passion pour le jeu se traduisait notamment par le fait d’avoir d’excellents joueurs offensifs qui avaient la possibilité de s’exprimer correctement, grâce à leur entraîneur. Désormais, tu ne peux plus avoir les meilleurs joueurs, mais tu as toujours ce besoin populaire de bien jouer. Il faut donc en demander plus à des joueurs qui viennent progresser et qui ne sont pas à leur top, tout en s’adaptant à un contexte tactique plus élaboré. C’est ce que nous a montré Marcelo Bielsa.

Quelles étaient les obsessions de Marcelo Bielsa à l’OM ?

Tout ce qui touchait au football et à la performance de son équipe. Il s’est renseigné sur la ville, la région et a apprécié sa vie à St-Cyr dans la belle Provence.

Comment juges-tu l’évolution de sa vision et de son travail depuis son départ de l’OM ?

Elle n’a pas changé. Il est toujours aussi radical dans son approche, mais il a prouvé entretemps que s’il n’était pas pollué par une direction dans l’incompréhension avec sa méthode, il était capable de s’inscrire dans la durée.

Le football moderne peut-il revenir à un football qui rend aux supporters ?

Seulement si les supporters arrêtent de gober les rêves de foot business des dirigeants de ce sport. D’ailleurs, de nombreux groupes de supporters traditionnels ont déjà compris cela. Les dirigeants n’iront jamais dans cette direction. Les supporters doivent refuser certaines transformations, certains achats, arrêter de regarder certaines diffusions de matchs incohérents, etc.

Comment vis-tu le football aujourd’hui ?

De manière contrastée. D’une part, lorsqu’on travaille sur ce sport, il y a un ras-le-bol de tellement de choses. D’autre part, il y a tellement d’aspects incroyables à creuser… Le foot sans les supporters, en revanche, c’est clairement du demi-foot.

Si tu devais délivrer une passe décisive ?

Forcément, je délivre cette passe décisive à mes collègues de Football Club de Marseille. D’ailleurs avec Benjamin Courmes, on travaille actuellement sur un documentaire sur l’épopée des Minots, l’une de ses histoires incroyables dont seul l’OM peut nous gratifier : Proarti : Minots.

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