Gardien emblématique de l’AS Saint-Étienne, Jérémie Janot est une figure incontournable du championnat de France des années 2000. Pour Tellement Foot, il revient sur son parcours, son sens du spectacle, sa vision des gardiens de but et son actualité. Rencontre avec le chouchou de Geoffroy-Guichard.
Tu as disputé plus de 380 matchs avec l’ASSE et surtout gagné le cœur de tout le peuple Vert. Peux-tu nous parler ton histoire passionnelle avec ce club et de cet amour indéfectible pour l’AS Saint-Étienne ?
C’est simple, je ne pouvais pas rêver mieux. J’ai passé 19 ans dans ce club exactement, je suis arrivé en 1993 et je suis parti en 2012… Je pense que le hasard n’existe pas dans la vie. Si on se remémore les circonstances de mon arrivée au centre de formation de l’ASSE, elles sont totalement improbables. C’était mon destin, même si je l’ai un peu forcé. J’ai fait cette carrière dans un tel club, c’était vraiment le top du top.
Pour évoquer ton parcours, tu as découvert le football à Valenciennes. Malheureusement, jugé trop petit, tu n’as pas été conservé au sein du club valenciennois…
Je suis originaire de Valenciennes. Ma mère a été mutée pour des raisons professionnelles dans la région stéphanoise et je n’ai pas été conservé au centre de formation, car j’étais trop petit. Malgré cela, quelques éducateurs ont cru en moi comme Otis N’Goma ou encore Raymond Wojko… Ce dernier était le directeur de la pré-formation et m’a écrit une lettre de recommandation transmise à Alain Blachon. Alain avait besoin d’un gardien en U16 à l’ASSE, il a eu une intuition avec moi, une vision, et il m’a fait signer. Je le taquinais souvent, car il a réalisé le meilleur coup du club en me faisant signer gratuitement. On a bien rigolé à ce sujet.
Des personnes diront que ce parcours est un coup de chance, je l’accepte. J’ai la force de ne pas me préoccuper du regard des gens. Certains diront que c’est de la chance, moi je dirais que c’est le destin. On est toujours le méchant ou le gentil dans une histoire, ça dépend juste de la personne qui la raconte. J’ai eu ce parcours fantastique et ça, c’est le principal !
Tu sembles totalement hermétique aux différentes critiques… N’est-ce pas préjudiciable pour progresser quand certaines peuvent être salutaires ?
J’accepte les critiques de mes proches et des personnes que j’aime. On fait un métier public, donc il faut accepter les différents avis. Accepter les critiques est une chose, se laisser influencer par cela en est une autre. J’ai compris ça en vieillissant. Si tu écoutes certains supporters avant un match : soit tu es nul, soit tu es le meilleur. Il ne faut pas que ça influence ta performance, car la seule vérité, c’est celle du terrain, celle de l’action.
Au début de ma carrière, les critiques m’ont un peu plus blessé. Quand tu es jeune, tu es plus fougueux… Quand tu entends : « Lui, il n’est pas bon » ou « Il est trop petit », cela te touche forcément. Mais tu sais, quand tu joues dans un stade avec plus de 30 0000 personnes, tu as 30 000 interprétations différentes. Je me suis toujours dit qu’il fallait accepter les critiques. Toujours. Je m’en suis même nourri pour me motiver et m’améliorer. Je pense aussi que le supporter qui prend sa place, il paie aussi ton salaire, donc il a le droit d’être mécontent et de me juger. Un journaliste, c’est logique également. Quand j’étais gardien, les critiques ne m’empêchaient pas d’aller discuter avec eux. Je n’ai jamais été choqué par les personnes qui remettaient en cause ma performance ou mon statut.
D’ailleurs, comment expliques-tu que ce poste de gardien de but cristallise autant l’attention, les tensions et les critiques ?
C’est le lot de tous les sports populaires. Le football est le sport du peuple, donc forcément tout le monde a un avis. Pour répondre à ta question, je vais te citer un exemple : Dans les résumés des matchs, on ne diffuse quasiment que les buts et c’est ça le problème. Tu regardes 4 ralentis d’un but, mais pas un seul sur un arrêt d’un gardien. Évidemment, les arrêts ne font pas kiffer le grand public. Ce sont les buts qui attirent et qui provoquent le bonheur de la majorité des spectateurs. Quand tu vois un gardien de but se prendre un but avec 4 ralentis, ça te donne 4 raisons de plus de le critiquer négativement.
Quel est ton regard sur ce poste et son évolution ?
Aujourd’hui, il y a une culture du gardien de but avec de plus en plus de blogs et de comptes sur les réseaux sociaux qui sont spécialisés et pertinents sur le poste. En tant qu’éducateur, je me rends aussi compte que des personnes qui n’ont pas forcément évolué au haut niveau possèdent des réflexions intelligentes et intéressantes sur ce poste et le rôle du gardien de but. Je vais souvent sur des blogs amateurs… Et attention, je ne me moque pas quand je dis « blogs amateurs », car j’ai beaucoup de respect pour le monde amateur. Pour moi, le football professionnel ne représente qu’un pour cent du football.
Ton attachement pour le monde amateur est si important que tu as d’ailleurs choisi de commencer ta carrière d’entraîneur des gardiens au sein de clubs amateurs…
Quand j’étais au FC Firminy et à l’US Villars, c’était compliqué putain. Tu dois tout gérer : les ballons, les feuilles de match, les équipements… Aujourd’hui, même si j’ai d’autres problématiques, je suis dans le confort. J’admire tellement les entraîneurs amateurs. Ils sont souvent bénévoles, c’est louable.
J’étais un entraîneur à 11 pour les diplômes et ces expériences m’ont ouvert les yeux sur le rôle d’un gardien, de ma vision avec ce poste, mais surtout que je n’ai pas envie d’entraîner toute une équipe. Je préfère être spécialiste des gardiens de but, en étant un bon adjoint afin d’aider le coach. S’il me demande mon avis, je peux lui apporter des réponses grâce à mon vécu. J’essaie de progresser chaque jour pour être un bon entraîneur des gardiens de but.
Pour quelles raisons le rôle de l’entraîneur d’une équipe te déplaît ?
Il y a énormément de management et de nombreux facteurs extérieurs. Quand j’entraîne un gardien, je fais de nombreuses corrections avec lui grâce à mon expérience. J’essaie de lui apporter le maximum. Je te l’ai dit, mais j’étais fait pour jouer avec l’ASSE, je suis fait pour entraîner des gardiens aujourd’hui et pas forcément une équipe. Je pense que je serais un mauvais entraîneur d’une équipe, mais un excellent adjoint.
Lorsque tu étais gardien, tu étais très instinctif. As-tu conservé cette caractéristique en tant qu’entraîneur ?
Un peu, je pense. Si tu veux, pour moi, chaque gardien a ses caractéristiques, ses qualités et ses défauts. Je me focalise sur ses atouts et je m’adapte. Quand je récupère un gardien en professionnel ou en U19, il a déjà beaucoup de qualités donc j’essaie de les détecter, les optimiser et gommer ses défauts. Je ne veux pas le transformer, je veux l’améliorer. Il faut savoir qu’en professionnel, ton gardien numéro un doit être performant tous les week-ends. Les entraînements doivent donc tourner autour de lui, sans oublier la concurrence avec les autres gardiens qui peuvent également prendre sa place de numéro un.
Pour revenir à ta carrière, tu es resté titulaire indiscutable à l’AS Saint-Étienne pendant de nombreuses saisons, malgré l’arrivée de nombreux gardiens. Comment as-tu géré la concurrence ?
La concurrence était logique et ne me gênait pas… Mais quand on faisait venir un gardien, au lieu de le valoriser, on me dénigrait. Je n’ai pas apprécié, mais ce n’est pas grave. Comme je dis, quand tu es joueur, le club ne t’appartient pas, il appartient aux dirigeants et aux supporters. Si la direction du club décide de prendre un autre gardien et que tu n’es pas content de cette décision, tu as trois choix : tu pars, tu rachètes le club ou tu fermes ta gueule et tu travailles. De mon côté, j’ai toujours pris la troisième option. Il a fallu qu’un très grand gardien me détrône à l’aube de mon crépuscule.
Ce très grand gardien, c’est Stéphane Ruffier. Lors de l’été 2011, le portier français débarque dans le Forez en provenance de l’AS Monaco et va s’imposer comme le gardien numéro un du club. Aujourd’hui, il est toujours indiscutable dans les cages des Verts. C’était ton successeur idéal finalement, non ?
Je pensais vraiment que Jessy Moulin allait prendre la relève. Si Stéphane Ruffier n’arrive pas à l’ASSE, Jessy m’aurait pris la place dans l’année, car il était déjà en train de me manger pendant la préparation… Quand Stéphane Ruffier est arrivé, il a mis tout le monde d’accord. C’est aussi simple que cela. Dans la vie, il y a toujours plus fort que toi. Je me suis fait prendre ma place après 15 années, je peux m’estimer chanceux.
Pourquoi était-il plus fort que toi ?
Il était plus jeune, plus fort… J’avais l’impression que c’était une version 2.0 de moi.
Lors de ta carrière, la compétition à ce poste a-t-elle toujours été saine ?
Oui, j’ai toujours eu de superbes relations avec les gardiens. Pour l’anecdote, je fais partie des « djeuns » maintenant, car j’ai installé Snapchat pour délirer avec mes enfants et la première personne qui m’a envoyé un snap est Jody Viviani. J’ai également revu Vincent Planté, Ronan Le Crom et Jérôme Alonzo. C’est un plaisir de les revoir à chaque fois.
On était en compétition, mais on s’amusait dans le vestiaire quand on enlevait les gants. Tu sais ce qui est bien avec le sport, c’est que le meilleur joue. Tu ne peux pas tricher. Si l’autre gardien est plus fort, c’est parfois difficile à accepter, mais c’est la jungle : la loi du plus fort. Soit tu es mangé, soit tu manges. C’est ça le haut niveau. Quand tu es remplaçant, tu le sais parfaitement que le mec qui joue est meilleur que toi. Je ne connais pas un seul entraîneur qui va mettre un joueur sur le banc en pensant qu’il est plus fort que celui qui joue. C’est impossible à concevoir.
Donc, tous les choix de tes entraîneurs ont été justes ?
Un entraîneur peut se tromper dans ses choix, mais il y a toujours eu une explication pertinente et valable. Je n’ai jamais eu un entraîneur qui ne m’a pas expliqué ses choix. Parfois, j’ai eu du mal à l’accepter, mais je m’en suis toujours servi comme une source de motivation. Si tu veux, je n’ai jamais contesté un choix, j’ai toujours essayé de retourner la situation en ma faveur.
Tu es également détenteur du record d’invincibilité pour un gardien à domicile en Ligue 1, avec 1534 minutes disputées sans prendre un but au stade Geoffroy-Guichard. Quel sentiment prédominait lors de cette période, entre novembre 2004 et septembre 2005 ?
Nous étions tellement soudés, en parfaite osmose. Je connaissais mes défenseurs et réciproquement. Je connaissais exactement les placements, ils savaient quand j’allais intervenir… Aujourd’hui, avec le recul, je me dis qu’on n’était pas forcément les meilleurs joueurs, mais on a réalisé un exploit extraordinaire. À l’heure actuelle, pour battre un record de 17 matchs sans prendre un but à domicile, il faut se lever tôt… Je pense qu’il sera battu un jour, mais les gens ne se rendent pas compte de cet exploit. C’est énorme quand même.
Lors de cette période, cette solidité défensive à toute épreuve était-elle le symbole d’une entente collective parfaite et d’une inébranlable solidarité ?
Oui, je n’ai pas battu ce record tout seul. C’est notre record, avec mon bloc défensif Zoumana Camara, Vincent Hognon, Hérita Ilunga, Fousseni Diawara ou encore Julien Sablé… Ça me fait chier pour eux, car ils doivent aussi avoir une reconnaissance.
J’ai envie d’évoquer un beau souvenir avec toi. Originaire de Valenciennes, tu as joué contre le VAFC au Stade Nungesser en tant que capitaine d’un des plus grands clubs français : Saint-Etienne. Qu’as-tu ressenti lors de ce match particulier ?
Une fierté. J’ai toujours voulu jouer à Valenciennes, faire ma carrière là-bas. C’était un rêve de gosse…
Un goût de revanche ?
Tu sais, tu dois faire des choix quand tu es éducateur et tu peux te tromper. J’étais un gardien de but d’1m60 et j’étais très petit par rapport aux autres gardiens de mon âge, donc je peux comprendre qu’il ait pris la décision de ne pas me garder. À l’époque cependant, je n’ai pas tellement compris ce choix, car j’étais le meilleur gardien de mon âge du Nord-Pas-de-Calais et j’étais dans toutes les sélections jeunes… Le fait de ne pas me donner ma chance à Valenciennes m’a fait partir à Saint-Étienne, donc finalement je m’en sors bien.
Tu sembles très pragmatique et compréhensif avec les choix des entraîneurs et des éducateurs. Avais-tu déjà ce recul et cette lucidité lorsque tu étais joueur professionnel ?
Dans ma carrière, j’ai eu 22 entraîneurs au haut niveau. Honnêtement, aujourd’hui, je fais la bise à 21 coachs et le 22e, je lui serre la main avec énormément de respect. J’ai toujours été respectueux avec les éducateurs et les entraîneurs. Ils m’ont vraiment tous apporté des choses. J’ai adoré discuter avec eux. Après oui, je vois les choses sous un autre angle en passant du côté des éducateurs.
Certains entraîneurs m’ont évidemment un peu plus marqué comme Frédéric Antonetti, Alain Perrin ou encore Élie Baup. C’était le haut niveau avec ces coachs. Avec Denis Zanko, mon dernier entraîneur au Mans, je me suis régalé aussi. Ils ont vraiment changé ma façon de voir le football.
À Saint-Étienne, Frédéric Antonetti est le premier entraîneur qui t’a véritablement fait confiance en te propulsant gardien numéro un au début des années 2000. Le technicien français a-t-il été le détonateur de ta carrière ?
Évidemment ! Il a fait la distinction entre l’homme et le joueur. J’ai aimé ses réflexions et ses discours sur la vie et la paternité. Il m’a touché. Frédéric Antonetti, l’entraîneur, était d’une rigueur extrême et il ne laissait rien passer. Aucun passe-droit, le haut niveau. Frédéric Antonetti, l’homme, est extraordinaire. Un jour, on avait un entraînement, ma femme venait d’accoucher et il m’a libéré. C’est un monsieur… Il traverse actuellement des moments compliqués et comme je lui ai dit, il peut m’appeler à n’importe quelle heure s’il a besoin de moi.
As-tu une anecdote à nous raconter sur les méthodes de Frédéric Antonetti et sa réputation volcanique ?
J’ai eu le trophée UNFP du meilleur gardien de Ligue 2 en 2004 et il avait planifié un entraînement le lendemain pour qu’on ne fasse pas la soirée. Je dis à Jeannot Dées, entraîneur des gardiens à l’ASSE à cette époque, que le coach allait me tomber dessus. Lors de la séance de frappes, je prends un but, deux buts puis trois buts et il y a eu un grand silence. Frédéric Antonetti me crie alors : « Oh Jérémie, tu es resté sur l’estrade à Canal+ ! »
Cette petite piqûre de rappel était là pour me dire qu’il fallait que je reste concentré et performant pour la fin de saison… Avec Frédéric Antonetti, j’ai enfin compris les exigences du haut niveau.
Quelles sont les exigences du haut niveau ?
Il faut toujours continuer de travailler, ne rien laisser au hasard, surveiller son poids… Tout est important dans le sport de haut niveau. On doit faire attention à tout.
Jérôme Alonzo a été un de tes mentors pour apprendre ce métier de gardien de but. Quels ont été ses conseils et ses méthodes ?
Jérôme Alonzo a été un de mes mentors… Avec Jérôme, nous étions des gardiens similaires : spectaculaires, fous et efficaces. J’ai énormément appris sur le côté business du football, car le club ne voulait plus de Jérôme et je trouvais ça totalement injuste. J’ai vu des matchs en Ligue 2 dans lesquels Jérôme Alonzo était vraiment imbattable. On se séparait d’un mec performant parce que les dirigeants n’en voulaient plus.
Pour l’anecdote, à cette époque, je stressais beaucoup avant les matchs et Dominique Casagrande m’a dit : « Si tu n’as pas confiance en toi, comment veux-tu que les autres aient confiance ?! ». Cette phrase a été un déclic pour moi. Je transpirais la trouille et les mecs le sentaient. J’ai fait un travail sur moi-même pour être plus confiant.
C’est vraiment intéressant. Comment as-tu réussi à développer et améliorer ta confiance en toi ?
Tu gagnes de la confiance avec les entraînements, les spécifiques et évidemment l’enchaînement de bons matchs. La meilleure solution pour booster sa confiance, ça reste le terrain. Il faut s’entraîner correctement afin d’accumuler de la confiance.
Doté d’un style spectaculaire, autoritaire et explosif, tu étais un gardien très atypique à l’époque. Malgré tes excellentes performances au haut niveau, cette singularité a-t-elle porté préjudice à ta carrière ?
Je ne me suis jamais renié, j’ai toujours été moi-même et j’ai toujours été le petit gamin qui joue au football. Quand tu mets un déguisement de Spider Man, tu ne fais pas attention à ton image, donc voilà (rires). Cela m’a porté préjudice, peut-être, mais je préfère rester moi-même et ne pas mettre un masque pour plaire. Je n’ai pas envie d’être un escroc ou un falsificateur. Je suis toujours sympathique sur un terrain et quand je croise des gens. Quand j’étais titulaire ou troisième gardien, j’ai toujours été respectueux. Aujourd’hui, je suis retombé dans l’anonymat et je suis le même.
Dès le début des années 2000, notamment à partir de 2004, tu assumes complètement ton style atypique avec des tuniques devenues cultes, des célébrations folles et des chambrages avec les supporters adverses… Au-delà du plaisir procuré par tes excentricités, était-ce finalement une façon de gérer les responsabilités, la pression et dégager une certaine sérénité ?
Je ne sais pas tellement, car tu ne fais pas la bonne performance grâce à l’échauffement avant le match, mais avec ta préparation pendant ta semaine. Je dis toujours que les arrêts appellent les arrêts et que les buts appellent les buts. Si tu prends des buts toute la semaine, tu ne seras pas performant le week-end. J’avais la boule au ventre toute la semaine et quand le match avait démarré, je n’avais plus la pression et je voulais tout défoncer parce que j’avais bien travaillé durant la semaine. Frédéric Antonetti disait souvent : « Tu ne peux pas connaitre l’histoire d’un match. Tu ne peux pas promettre aux supporters que les joueurs seront excellents. Tu peux juste promettre de la sueur et du travail ». Je suis complètement d’accord avec ça. J’en suis persuadé.
Malgré ce sens du spectacle, il ne faut pas oublier que tu étais un insatiable travailleur et que tu as toujours forcé le destin pour atteindre tes objectifs. Comment expliques-tu cette rigueur et cette détermination ?
Je le dis avec beaucoup d’humilité : j’ai connu de meilleurs gardiens que moi, mais aucun gardien n’a travaillé plus que moi. J’étais toujours dans le travail, peut-être même trop. Aujourd’hui, je n’ai pas très bien géré certaines phases de récupération. Avec Jeannot Dées, on travaillait quand je faisais un bon match pour ne pas perdre le rythme et on travaillait quand je ne faisais pas une bonne performance pour retrouver le rythme. On ne s’arrêtait jamais. Parfois, il fallait couper sur certains entraînements, mais je voulais tous les faire. Je pense que ça aurait été bénéfique de mieux gérer mes repos. Aujourd’hui, ça me sert en tant qu’entraîneur pour mes gardiens.
Lors de ta carrière, tu as eu un mode de vie très sérieux et professionnel – symbole de ta longévité au haut niveau. Finalement, le terrain était-il un exutoire pour toi ?
Quand j’arrivais sur le terrain, je me disais : « Putain quel kiff !! Tu t’es battu toute ta vie pour ça, il faut profiter ». J’avais aussi conscience que ça allait s’arrêter un jour donc je profitais. Par exemple, quand il y avait deux zéros et que le public me chambrait en criant « Janot, montre-nous ton cul ! », je le faisais. Je me suis fait engueuler, notamment par Élie Baup après un match face à l’OGC Nice où on perdait 2-0. Il m’avait dit : « Tu me gonfles Jérémie avec les supporters, tu as pris deux buts ». Élie m’adorait et m’a fait énormément de bien dans ma carrière.
Ça pouvait énerver, mais c’était moi… Je n’étais pas dans le calcul. Je faisais ça spontanément, sans mesurer les conséquences. Par exemple, à Marseille, lors de chaque dégagement, il me faisait un « Oh hisse enculé ». Un jour, j’ai fait une feinte de frappe, j’ai fait un doigt d’honneur aux supporters pour chambrer et j’ai pris un carton jaune là-dessus. J’ai croisé le regard d’Élie Baup sur le banc, j’avais intérêt à assurer après ça. Les supporters marseillais m’en parlent encore. C’était fabuleux !
Le football est-il devenu aseptisé ?
Oui et je comprends avec tous les blogs, les réseaux sociaux… Imagine si je montre mes fesses dans un match aujourd’hui ? Ça prendrait des proportions énormes. Tu vois ce que je veux dire ? On peut faire de moins en moins de choses dans notre société, il y a moins de spontanéité. Même quand tu fais une Story Instagram, tu calcules et penses à tout.
Et si tu jouais aujourd’hui…
Je l’aurais fait, mais j’aurais eu plus de matchs de suspension (rires). On ne peut pas changer sa nature. Aujourd’hui, Pascal Olmeta sortirait-il encore à 40 mètres de ses buts ? Il le ferait, évidemment.
Tu as disputé ton dernier match avec l’ASSE face au Stade Rennais à Geoffroy-Guichard, en mai 2011… Une fin malheureuse avec les Verts puisque tu as dû sortir sur blessure. Ton pire souvenir ?
Non… Il fallait que ça s’arrête et on ne choisit pas sa sortie. Certains ont des belles sorties, moi non. Ma fin est un peu pourrie, mais j’ai tellement eu de bonheur avec ce club. Quel plaisir quand je me balade dans les rues à Saint-Étienne. Aujourd’hui, les supporters ne m’ont pas oublié et c’est le principal.
Après un prêt à Lorient puis un bref passage au Mans FC, tu as décidé de prendre ta retraite… Aurais-tu préféré finir ta carrière à Saint-Étienne ?
Bonne question… Non, je ne regrette rien. Quand tu fais des choix, il faut les assumer.
Es-tu fier de ton parcours ?
Oui, je suis fier. Je ne sauve pas des vies, je n’ai pas gravi l’Everest, je ne suis pas astronaute, mais j’avais une petite chance d’avoir cette vie-là et je l’ai saisie. Je suis fier de ça. J’ai écouté ma petite voix intérieure qui me disait de foncer. J’ai simplement exploité un talent à 200%.
Dans de nombreuses interviews, tu évoques le talent impressionnant de Pascal Feindouno. Très prometteur, il est passé à côté d’une carrière fantastique… Comment peux-tu l’expliquer ?
C’est sûr… Pascal aurait pu mieux faire, mais il a quand même fait une carrière extraordinaire ! Je l’adore, c’est un ami. Il a bien fait marcher mon Club 42. Il a zéro regret parce qu’il n’est pas dans le calcul, comme moi. C’est un mec adorable, il vit sa vie à 100 à l’heure sans se soucier de ce que les autres pensent. C’est un bon mec, c’était un sacré joueur.
Figure incontournable de la Ligue 1 des années 2000, comment juges-tu la médiatisation actuelle du championnat de France ?
C’est top. Les droits TV ont explosé. C’est mieux pour le football. Plus tu as de l’argent, plus tu peux faire venir des stars et plus les spectateurs se régalent. Depuis l’Euro 2016, les clubs ont également de meilleures infrastructures. Tout évolue, on va dans le bon sens.
Aujourd’hui, quel est ton championnat préféré ?
Je regarde tous les matchs, je suis un fan de football. J’aime beaucoup et j’ai toujours été attiré par l’Angleterre, mais mon rêve serait d’aller en MLS. Je suis énormément les résultats de l’Impact de Montréal, par exemple.
Les gardiens de but sont vraiment des footballeurs spéciaux. Ils sont souvent incompris et finalement très seuls… Comment gères-tu cela avec les jeunes gardiens et quels sont tes conseils ?
Je me base sur les 4 facteurs de la performance : technique, tactique, physique et mentalité. Je pense que la technique est primordiale. On peut toujours combler un manque physique par de la technique, rarement l’inverse. Je suis la preuve qu’on peut être petit et faire une belle carrière.
Il ne faut pas que les jeunes brûlent les étapes. Je n’ai qu’un objectif chez les professionnels, c’est que les gardiens soient performants chaque week-end. Quand je suis au centre de formation, j’ai une vision sur deux ou trois ans des gardiens. Je vais pouvoir adapter mes séances et mes objectifs. Je n’ai pas besoin d’avoir des résultats immédiats avec des jeunes gardiens. Avec un portier de 17 ans, mon but est qu’il soit prêt pour intégrer le groupe professionnel dans les deux prochaines années.
En tant qu’entraîneur des gardiens, quelles sont tes sources d’inspiration ?
Premièrement, la formation reçue à la Fédération. Et, deuxièmement, nous avons la chance d’avoir de nombreuses références en France comme Nicolas Dehon, Christophe Lollichon ou encore Oliver Lagarde. J’adore la philosophie et la façon de travailler d’Oliver Lagarde. J’étais aussi coach avec Fabrice Grange à Saint-Étienne… Il faut aussi savoir que le diplôme d’entraîneur des gardiens a été inventé en France avec une méthodologie précise et une certaine pédagogie.
J’ai lu que tu avais réussi à prendre une photo avec ton idole : Diego Maradona. Peux-tu nous raconter cette rencontre avec la légende du football argentin ?
Avec mes missions pour l’Euro 2016, j’ai été invité pour un match de gala à Dubaï et il y avait Diego Maradona qui ne voulait pas faire une seule photo. Dans ma tête, je me dis que je ne peux pas partir sans ma photo avec Diego. Donc, je suis allé voir son garde du corps en lui disant : « J’ai appelé mon fils Diego pour lui, je dois absolument faire une photo ». Quelques minutes plus tard, Diego Maradona m’a appelé et on a fait une photo ensemble… Mon fils s’appelle Lenny ! Il fallait que je trouve un truc pour faire une photo avec Diego. J’étais tellement content. Ce mec dégage un truc, c’est hallucinant.
As-tu des projets qui arrivent ?
Mon objectif est d’être le plus performant possible avec mon club, Valenciennes, en espérant que ça dure le plus longtemps possible. Quand tu es un entraîneur au niveau professionnel, tu es toujours sur un siège éjectable et c’est la règle du jeu. C’est comme ça, on le sait.
Comment vis-tu avec cette pression ?
C’est comme ça. Aujourd’hui, j’ai eu de la chance d’aller dans plusieurs grands clubs, à Porto ou encore à l’Impact de Montréal avec Youssef Dahha qui est aujourd’hui en MLS. Les méthodes se renouvellent tout le temps et comme dit Jean-Claude Van Damme, il faut être « Be aware! ». Si tu n’es pas à l’écoute, tu vas vite être dépassé.
Quel est ton coup de cœur actuel ?
La légalisation du MMA en France. Cela va ouvrir des perspectives à de nombreux grands sportifs qui avaient des horizons bouchés. Je fais également un petit clin d’œil à tous les précurseurs comme Jess Liaudin, Cyrille Diabaté, Bertrand Amoussou les frères Schiavo… J’en oublie et je suis désolé. Ces précurseurs ont porté le MMA en France et si ce sport est reconnu en France, c’est surtout grâce à eux.
Trouves-tu des valeurs communes entre le MMA et le football ?
Oui, le travail, la discipline, l’engagement et le courage.
Si tu devais délivrer une passe décisive ?
Je vais faire une passe décisive à tous les bénévoles qui font que des gars comme moi puissent vivre leur rêve, le dirigeant qui ne compte pas les kilomètres, qui lavent les maillots et qui fait tout ça pour l’amour du sport, pour l’amour d’un club. Sa seule reconnaissance, c’est le sourire des gamins. Les bénévoles font ça et n’ont jamais une ligne ou une photo dans un journal. C’est à eux que je pense.